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Communiqués de presse

Lettre ouverte à Emmanuel Macron

« Il est temps, Monsieur le Président, de condamner les violences à l’encontre des journalistes »


Monsieur le Président,

A l’heure où la défiance du public envers les medias n’a jamais été aussi grande en France, au moment où la précarité ronge notre profession avec les conséquences néfastes sur la qualité de l’information, alors que la société n’a jamais disposé d’autant de canaux et de médias, le journaliste professionnel doit toujours tenir la place qui est la sienne. Le rôle de celui-ci consiste à recueillir et vérifier, décrypter et analyser l’information pour mieux éclairer les citoyens dans une démocratie digne de ce nom.

Force est de constater que les politiques récentes et les lois votées ont mis beaucoup d’entraves à la liberté de la presse. A la calamiteuse loi Renseignement qui donne de très grands pouvoirs aux services de sécurité DGSI et DGSE, sans contrôle du juge judiciaire, et sans respect de la protection des sources des journalistes, se sont ajoutées la loi sur le Secret des affaires et la loi « Fake news » sans compter l’application aux journalistes de certaines dispositions des lois anti-casseurs, notamment celles réprimant le port de matériel de protection dans les manifestations. Pire, il ne passe pas une semaine sans qu’un journaliste ne serve de punching-ball à un membre de la majorité du gouvernement, à un parlementaire, à un élu local ; il ne s’écoule pas une semaine sans que des reporters ne soient empêchés de travailler lors de manifestations syndicales, celle des Gilets jaunes et les autres conflits sociaux; il ne se passe pas une semaine, M. le Président, sans que la liberté de la presse soit piétinée en France alors qu’elle est pourtant garantie par la loi de 1881, la Constitution française dont vous êtes le garant, la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

Dans une lettre d’allégation envoyée au gouvernement le 14 février 2019, Michel Forst, rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme, et Clément Nyaletsossi Voulé, rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté de manifester, s’inquiétaient déjà des nombreuses atteintes à la liberté de la presse, depuis le début des manifestations des Gilets jaunes. La réponse du gouvernement français à ce courrier a été considérée comme un « déni de réalité » par les deux experts de l’ONU. Ils poursuivent leur travail d’enquête sur le terrain.

En effet, des journalistes sont empêchés d’exercer leur profession, insultés, malmenés physiquement, voire blessés par des manifestants et/ou des policiers, presque chaque semaine. Des journalistes sont visés, leur matériel de travail et de protection saisis et détruits. Comme si les violences étaient devenues monnaie courante chaque semaine, comme si les violations des libertés fondamentales étaient devenues une « habitude » en France. Les plaintes déposées s’enlisent…

Il est temps, Monsieur le Président, de condamner les violences à l’encontre des journalistes.

Au moment où vous allez présenter vos vœux à la presse ce mercredi 15 janvier, la profession attend que vous rappeliez à toutes et tous l’importance d’informer et d’être informé pour un état démocratique, et la nécessité de respecter et de faciliter si nécessaire le libre exercice de la profession de journaliste.

Créé le 10 mars 1918, en pleine guerre, le Syndicat national des journalistes (1) façonne la profession depuis plus de 100 ans. L’acte fondateur du syndicat a été la publication en 1918 d’une charte d’éthique qui demeure à ce jour la seule charte nationale. Attaché à un syndicalisme de métier comme le prônait notre fondateur Georges Bourdon, le SNJ participe à l’ensemble des conquêtes et luttes sociales de la profession, en inspirant tous les textes qui régissent et protègent aujourd’hui les journalistes français. La loi Brachard de 1935 a forgé le statut du journaliste professionnel, en instaurant notamment la clause de cession, la clause de conscience, la carte de presse et la juridiction d’exception qu’est la Commission arbitrale des journalistes, puis la Convention collective nationale de travail des journalistes, la loi Cressard de 1974 qui permet aux journalistes pigistes de disposer des mêmes droits que les journalistes mensualisés, et, plus récemment, la loi sur la protection des sources, intégrée dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse.

Ces conquêtes sociales, étroitement liées à l’indépendance du journaliste, n’ont jamais été autant attaquée par des employeurs peu scrupuleux, surtout depuis que vous leur avez ouvert un boulevard, M. le Président, avec des ordonnances qui portent votre nom et avec l’aide du gouvernement d’Edouard Philippe qui affaiblissent la représentation des salariés tout en portant des coups destructeurs contre le Code du travail. Les journalistes-pigistes, déjà précaires, voient même diminuer la recharge de leurs droits avec la réforme récente de l’assurance-chômage.

Le journaliste, compte tenu de la particularité de son métier, doit être protégé. La loi doit lui conférer les moyens de résister aux pressions des actionnaires, des publicitaires, des lobbys, des courants et des politiques, et même parfois de ses propres employeurs.



Des solutions existent. Le SNJ vous en fait part lors de courriers qu’il vous a déjà adressés. Ces pistes passent notamment par une restauration du paritarisme alors que les employeurs désertent trop souvent les instances qui lui donnent vie.

C’est à la profession de s’organiser, ce qu’elle a toujours su faire. La création récente du Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) le 2 décembre dernier en atteste. Il entend être indépendant de tous les pouvoirs et compétent pour toutes les formes de presse. Il a pour objectif de renouer le lien de confiance entre les citoyens et les médias. Pouvant être saisie ou s’autosaisir de tout cas relevant de la déontologie, l’instance nationale peut enquêter et émettre un avis rendu public.

Le SNJ met à la disposition de la profession, des citoyens et du débat public, son programme pour l’information et le journalisme qui consiste à : 

·     doter les rédactions d’un statut juridique afin qu’elles puissent disposer d’un véritable droit d’opposition collectif, qui permette un réel contre-pouvoir dans l’entreprise sans altérer les prérogatives de l’employeur ;

·     créer de nouveaux seuils anti-concentrations dans le secteur des médias, actuellement entre les mains d’industriels et de milliardaires, qui dépendent souvent des commandes et arbitrages de l’Etat et dont la priorité n’est pas l’information honnête et rigoureuse du citoyen ;

·     remettre à plat tout le système d’aides à la presse et les conditionnant au respect de la déontologie et à des exigences sociales par les employeurs, en affectant une partie d’entre elles à la création d’entreprises de presse à but non lucratif ; 

·     réformer plus harmonieusement l’audiovisuel public en abandonnant l’idée du retour de l’ORTF, maintenir les chaînes France 4 et France Ô, mettre fin aux politiques purement comptables à France Télévisions et à Radio France qui risquent d’affaiblir fortement leur première mission : l’information ; 

·     remplacer la redevance audiovisuelle par une contribution universelle pour tenir compte des nouveaux usages d’accès au Service Public afin de mieux le financer ;

·     inscrire dans la loi un collège spécifique pour les journalistes lors des élections professionnelles dans les entreprises de presse à partir d’un seuil de 25 salariés afin de garantir les spécificités de leur profession ; 

·     lutter efficacement contre la précarité qui gangrène la profession, affaiblit les collectifs de travail et asservit les rédactions, en poursuivant les employeurs qui ont recours au régime des auto-entrepreneurs, illégal puisqu’un journaliste est un salarié ;

·     organiser une meilleure protection des lanceurs d’alerte qui sont des sources irremplaçables pour les journalistes.
 

Le journalisme est une profession pour l’exercice de laquelle on peut être tué. Des centaines de professionnels ont été assassinés dans le monde, dont 25 en Europe ces 5 dernières années. L’engagement solennel pris lors de la manifestation gigantesque « Je suis Charlie », des citoyens et chefs d’Etat le 11 janvier 2015, doit être tenu. Le nombre de journalistes tués reste encore trop important en 2019 (49 journalistes et professionnels des médias ont été assassinés l’an passé, selon la Fédération internationale des journalistes). La France n’a toujours pas déclaré qu’elle s’engageait à signer la Convention internationale pour la sécurité et l’indépendance des journalistes et des autres professionnels des medias, rédigée par la FIJ, la plus grande instance de représentation des journalistes avec 600 000 adhérents dans 146 pays pour en finir avec l’impunité des assassins de journalistes et leurs commanditaires. Ce texte devra ensuite être adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies.

Nous ne nous doutons pas, M. le Président, que vous aurez à cœur ce mercredi 15 janvier 2020 de montrer votre attachement à la liberté de la presse.

Je vous prie, Monsieur le Président, de recevoir mes considérations les meilleures.

Respectueusement,

 

Emmanuel POUPARD
Premier secrétaire général du SNJ

 

 

(1)  Première organisation de la profession de poids de représentativité syndicale (près de 39%) et à la Carte de presse (53%), le SNJ est implanté dans toutes les formes de presse et dispose d’une expertise reconnue par ses pairs, obtenue par la légitimité des urnes.
 

 

Paris, le 15 Janvier 2020

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