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[CENTENAIRE DU SNJ]

Hommage à Georges Bourdon, le bâtisseur (1868-1938)


Inauguration d'un jardin Georges Bourdon à Etretat (Seine-Maritime), sur la promenade de front de mer, rue du Général Leclerc, par Mme le maire d'Etretat Catherine MILLET et le Premier secrétaire général du SNJ Vincent LANIER. Voici l'intégralité de la déclaration lue par le Premier secrétaire général du syndicat.



Au nom du Syndicat National des Journalistes, je tiens à vous exprimer, à vous et à l’ensemble de votre conseil municipal, toute la gratitude des camarades du syndicat pour l’inauguration de ce jardin, avec vue sur la mer, qui nous permet de rendre hommage à celui qui fut pour nous d’abord un illustre confrère, grand reporter au Figaro, infatigable fantassin du journalisme, puis un militant émérite du syndicat, dirigeant historique, bâtisseur et organisateur de la profession.

C’est ici, à Etretat, que Georges Bourdon aimait à venir se ressourcer -comme on le comprend-, entre deux reportages, entre deux combats. C’est ici, sur ces plages, face à ces falaises,  que le journaliste passait la plupart de ses étés, dans la villa « Folle Brise », et qu’il s’était lié d’amitié avec l’écrivain Maurice Leblanc, le père d’Arsène Lupin. Il y avait créé l'association des « vieux galets » qui si j'ai bien compris, existe toujours aujourd'hui. Avec l’inauguration symbolique de ce petit jardin, le nom de Georges Bourdon va rejoindre la longue liste des personnalités publiques liées à la commune d’Etretat, de l’écrivain Guy de Maupassant aux peintres Claude Monet, Gustave Courbet, Henri Matisse, Eugène Delacroix, mais aussi des hommes politiques célèbres, Félix Faure, René Coty, ou alors, plus contemporain, l’acteur Vincent Lindon. Source Wikipédia ! En principe on ne dévoile pas ses sources, mais il faut bien une exception pour confirmer la règle.

Mais revenons à notre Georges Bourdon. Pour la postérité, il occupera une place à part dans l’histoire du journalisme français : inspirateur de la loi de 1935, il a grandement contribué à doter la profession d’un statut protecteur. Ça aura été le combat de sa vie : permettre aux journalistes français d’acquérir de nouveaux droits, en écho aux devoirs inclus dans la charte d’éthique professionnelle publiée par le SNJ dès 1918. La légende dit d’ailleurs que c’est lui qui a rédigé en grande partie cette charte, dont l’adoption fut le premier acte fondateur du syndicat.

C’était il y a 100 ans. Et oui, je vous parle d’un temps que les moins de 120 ans ne peuvent pas connaître. Il y a 100 ans donc, un peu moins, c’était au mois de mars, avant même l’Armistice, le SNJ était créé par une quinzaine de pionniers, seize plus précisément, autour des premiers présidents Jean-Ernest Charles et Lucien Descaves. Georges Bourdon succèdera à ce dernier dès 1922, pour un bail de 16 années, jusqu’à son décès, en 1938.

Créé il y a cent ans, le SNJ est aujourd’hui un centenaire dynamique et bien portant : le syndicat vient d’être conforté comme première organisation de la profession en recueillant plus de 53% des voix aux élections nationales de nos représentants à la Commission de la carte, devant cinq autres syndicats de journalistes.

Nous savons à qui nous devons cette exceptionnelle longévité, assise sur des fondations solides, et surtout sur des acquis auxquels les journalistes français sont légitimement très attachés.

2018, c’est une année de centenaire pour nous. C’est aussi, symboliquement, l’anniversaire des 150 ans de la naissance de Georges Bourdon, et les 80 ans de sa mort. C’est encore l’anniversaire des 120 ans de la Ligue des Droits de l’Homme dont Georges Bourdon fut un des cofondateurs, en 1898.

Il en restera un des principaux dirigeants, parallèlement à son engagement syndical au SNJ, quasiment jusqu’à sa mort.

Il y a eu plusieurs Bourdon, parce que cet homme-là a eu plusieurs vies en une seule.

Il y a eu le Bourdon critique de théâtre, devenu ami d’Octave Mirbeau ; le Bourdon journaliste, observateur très engagé de l’Affaire Dreyfus puis grand reporter au Figaro, envoyé spécial pendant de longs mois dans l’Allemagne d’avant-14.
Il y a eu le Bourdon militant, à la Ligue des Droits de l’Homme, puis comme dirigeant du SNJ, fondateur en 1926 de la fédération internationale des journalistes.
Il y a eu enfin le Bourdon stratège, fin négociateur et jusqu’au-boutiste, qui aura réussi le tour de force de faire voter par le Parlement la loi Brachard, en 1935, après seize années de combat, et à faire adopter en 1937 par le patronat la convention collective sur laquelle des discussions étaient engagées depuis 1919.

Bourdon restera l’homme du statut, celui qui aura permis d’inscrire dans la loi :
- la clause de conscience ;
- la commission arbitrale, une juridiction d’exception qui permet aux journalistes licenciés d’être jugés par leurs pairs ;
- et la carte de presse, attribuée par une commission paritaire officialisée par décret en 1936.

Georges Bourdon était partisan d’un syndicalisme de métier, « uniquement placé sur le terrain professionnel ». Ce choix de l’autonomie, de l’indépendance, a laissé une empreinte indélébile dans l’ADN du syndicat. Ce que nos adversaires se plaisent à qualifier de corporatisme, nous l’assumons dans un engagement catégoriel qui s’exprime tous les jours, sur le terrain, dans nos rédactions. Il n’y a pas de syndicaliste professionnel au SNJ, mais des professionnels qui font du syndicalisme, ce qui est parfois un handicap, mais le plus souvent une force.

Cet engagement dans la défense de nos métiers, de nos spécificités, de l’éthique professionnelle à la protection des sources, n’empêche pas la solidarité interprofessionnelle. En témoigne notre affiliation à l’Union syndicale Solidaires il y a vingt ans. Cet engagement n’empêche pas non plus l’ouverture à l’international, dont Georges Bourdon a été un des précurseurs. C’est sous son mandat de président, en 1926, que le SNJ a créé, à Paris, la fédération internationale des journalistes. Membre associée de l’Unesco, basée désormais à Bruxelles, la FIJ représente aujourd’hui près de 600 000 journalistes dans le monde, à travers 180 syndicats et organisations de journalistes répartis dans 140 pays.

Plus que jamais cette solidarité internationale est nécessaire, alors que les signaux sont plutôt inquiétants pour les journalistes, partout dans le monde, et même parfois en France, où la « haine » théorisée des médias est devenue pour certains un fonds de commerce politique. Si la critique de la presse est légitime, la haine des journalistes, instrumentalisée à des fins politiciennes, est un réel danger pour la démocratie. Et pour les journalistes eux-mêmes, bien entendu.

Ainsi, 82 journalistes et professionnels des médias ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions, dans le monde, en 2017, et 63 à ce jour depuis le début de l’année.

Le laxisme de certains Etats, quand ils ne sont pas eux-mêmes donneurs d’ordre, est une complicité, l’impunité est un encouragement.

Nous n’oublions pas Daphné Caruana Galizia, assassinée à Malte, parce qu’elle dénonçait la collusion entre le pouvoir et la mafia. Nous n’oublions pas Jan Kuciak, ce journaliste slovaque assassiné avec sa compagne en février dernier. Son grand tort était de dénoncer régulièrement la corruption dans les milieux d’affaires et politiques.

Nous n’oublions pas nos camarades de Charlie Hebdo. C’était il y a trois ans seulement. Nous étions tous Charlie, des millions de Charlie dans les rues le 7, le 8, le 9, le 10 puis le 11 janvier 2015. Qu’avons-nous fait de cet élan, alors que la liberté d’expression, aujourd’hui, et la liberté de la presse, sont chaque jour qui passe un peu plus en péril ?

Prenons la loi sur le secret des affaires, votée en juillet. Cette loi de transposition de la directive européenne, véritable loi-bâillon, a mis en place un nouvel outil de pression, à la disposition des multinationales et des lobbys contre le journalisme d’investigation, mais aussi contre les lanceurs d’alerte et les représentants du personnel. En résumé, contre les citoyens tout simplement, et leur droit à l’information.

Dans l’affaire des laboratoires Merck et du Levothyrox, l’Agence nationale de santé vient d’en faire la démonstration en communiquant aux familles des victimes un dossier expurgé de certaines données, en se protégeant derrière le secret des affaires. Ça ne fait que commencer, nous en verrons d’autres. Chaque semaine qui passe comprend son lot de peaux de bananes.

La loi Justice, et cet amendement d’un député LR proposant qu’on interdise de publier les noms des personnes mises en examen. Pour protéger qui ? Le justiciable ou le politique ? Je sais qu’en la matière, vous en avez eu un exemple récent à Etretat. Que fallait-il faire ? Ne pas publier, et laisser courir les rumeurs ? Ou publier en respectant la présomption d’innocence due à chacun ?

Il y a 100 ans déjà, c’est en réponse à la censure, aux rumeurs et à la désinformation qui avait sévi pendant la Grande Guerre que le SNJ s’est créé. Les Fake News –il paraît qu’il faut dire infox maintenant–, bon, la fausse information, est un phénomène qui n’a rien de nouveau, qui a trouvé une caisse de résonnance mondiale avec le web et les réseaux sociaux. Il ne s’agit pas de minimiser leurs effets possibles, mais c’est le travail des journalistes de trier le faux du vrai, à partir des faits, rien que les faits, nos fondamentaux.

Laissons les rédactions travailler, et surtout, donnons-leur les moyens de travailler, mais on ne luttera pas efficacement contre les Fake News en essayant de boucher la tuyauterie.

C’est un peu ça, la fameuse loi contre la « manipulation de l’information », voulue par le Chef de l’Etat, qui revient mardi à l’Assemblée, après avoir été rejetée fin juillet par le Sénat. Que propose cette loi ? Elle introduit une dose de censure à travers un arsenal de mesures dont on peut douter de l’efficacité :
- un juge de la vérité censé statuer en 48 heures sur ce qui est ou pas une fausse information, sur la base d’une définition de la fausse information qui a changé quatre fois ;
- de nouvelles prérogatives attribuées au CSA –qui n’est pas une instance indépendante du pouvoir politique, personne n’est dupe là-dessus– donc de nouveaux pouvoirs qui permettraient au CSA de « couper le signal » d’une chaîne de télé étrangère, un peu comme le font les chefs d’Etat de pays fort peu démocratiques, lorsqu’ils coupent le signal… de RFI, par exemple.

Si la société doit être protégée des fausses nouvelles, la démocratie doit être protégée de la sur-dramatisation sur ce sujet, qui justifierait des restrictions à la liberté d’expression.

Venons-en aux rédactions, et aux moyens qui doivent être les leurs, pour assurer leur mission d’information.

Le paysage est délabré. Nous sommes bien placés pour le savoir ici, en Normandie. Combien d’emplois supprimés, à Paris-Normandie, un quotidien historique qui a bien failli disparaître des radars de la presse régionale ?

L’intervention des pouvoirs publics, sur ce dossier, comme sur d’autres, a été très insuffisante, bien qu’on distribue des aides à la presse sensées garantir le pluralisme.

La presse quotidienne souffre, enfin, ce sont les salariés qui trinquent, bien qu’ils ne soient pas responsables des errements des éditeurs, qui ont complètement raté le virage du numérique, se sont précipités dans les bras de Facebook et de la gratuité. C’était assez cocasse, ces derniers jours, de voir les patrons de presse défendre le droit d’auteur, au parlement européen, quand ils n’ont cessé de le remettre en cause, au cours des trente dernières années, en niant aux journalistes la qualité d’auteur.

Dans la famille de la presse écrite, il y a la presse magazine, longtemps très profitable, qui plonge à son tour, on le voit chez Prisma, chez Mondadori, avec des actionnaires qui ne pensent désormais qu’à scier les branches malades, sans s’occuper des racines.

Mais ne soyons pas trop négatifs, il reste des réussites, des bastions. Mais où est l’action des pouvoirs publics pour soutenir l’information ? Rien de bon ne sortira de la nouvelle réforme de l’audiovisuel public, dictée par des impératifs comptables, et pas du tout motivée par le nécessaire renforcement d’un service public de l’information, rigoureux et pluraliste.

A propos de bastion, cette semaine, c’est l’AFP qui est en ébullition. Pour se renflouer, l’agence envisage de vendre ses bijoux de famille, l’immeuble historique de la Place de la Bourse à Paris, tout en projetant de se séparer de 125 salariés. Continuez comme ça, et le paysage médiatique ne sera plus qu’un champ de ruines, sur lequel pourront prospérer les vendeurs de buzz, de fake, d’infotainment, et là j’ai épuisé mon dictionnaire des anglicismes.

Vous l’avez compris, j’espère. Il reste beaucoup à faire, pour renforcer le pluralisme et l’indépendance des rédactions, dans un contexte de concentration capitalistique qui a précipité la propriété de la plupart des grands médias entre les mains d’industriels et de milliardaires dont la priorité n’est pas l’information équilibrée du citoyen. Au mieux, c’est la course à l’audience et au clic, qui prime. Au pire un interventionnisme assumé de ces nouveaux patrons du secteur, contre lesquelles les rédactions exsangues, confrontées à une précarité systémique, n’ont plus les moyens de lutter.

Fidèle à ses pionniers, à ses racines, à son histoire, le SNJ est prêt à mener de front tous ces combats.

Pour les journalistes, pour l’information, pour le droit du citoyen à bénéficier d’une information indépendante et de qualité.

Mais ne nous le cachons pas : Georges Bourdon va nous manquer pour relever tous ces défis.

Je vous remercie.
 

Photo Collection SNJ,
Etretat, le 06 Octobre 2018

Thèmes : Liberté

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