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Communiqués de presse

Lettre ouverte

« Il vous appartient, M. le ministre, de faire respecter la protection des sources des journalistes »


Monsieur le Garde des Sceaux,

 

Connaissant votre attachement à la liberté de la presse, le Syndicat national des journalistes (SNJ), première organisation de la profession, tient par cette lettre ouverte à attirer votre attention sur plusieurs événements récents constitutifs d’atteintes graves à la liberté d’informer et à la protection des sources des journalistes, pourtant en principe garantie par la loi du 4 janvier 2010, et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme.

 

- Le  21 novembre dernier, le site web d’investigation Disclose a rendu public une série de documents « confidentiel-défense » révélant l’existence d’une opération militaire secrète, la mission Sirli, utilisée par la dictature égyptienne pour bombarder des civils depuis 2016. L’opération serait toujours en cours. Le média estime – à raison – que ces révélations revêtent un intérêt public majeur.

« Nous avons fait le choix de les porter à la connaissance des citoyens. Une décision d’autant plus justifiée à nos yeux que cette coopération militaire échappe à tout contrôle démocratique », expliquait Disclose, lors de la publication de ces informations.

Une fois l’enquête du média publiée, le porte-parole du gouvernement a fait savoir qu’il lancerait une enquête pour violation du secret de la défense nationale. Quelques jours plus tard, la ministre des Armées Florence Parly a confirmé cette annonce en saisissant la justice.

A ce jour, Disclose n'a reçu aucun courrier ni convocation. Il n’en demeure pas moins que ces déclarations, émanant de représentants des plus hautes sphères de l’Etat, constituent une forme d’intimidation à l’égard de tout journaliste ou tout média susceptible de s’intéresser à ces sujets d’intérêt public. Ces menaces portent atteinte à la liberté d’informer, au-delà à l’ensemble de la profession, et au droit de tout citoyen à être librement informé. Le SNJ soutient le média Disclose, et sera à ses côtés au nom de la profession si des suites judiciaires sont données à cette affaire.

 

- Mi-octobre, une journaliste rémunérée à la pige travaillant pour le média StreetPress a également fait l’objet d’intimidations récurrentes après un article paru en ligne sur un policier dealer. Contactée par un commissaire de la brigade des stupéfiants (DRPJ) qui lui intime l’ordre de révéler sa source, elle refuse, ce qui est son droit et son devoir en tant que journaliste.

Quelques jours plus tard, elle reçoit à son domicile une convocation pour être entendue par ce même service. Le 2 novembre, elle se rend à la DRPJ. Le commissaire en charge du dossier refuse qu’elle soit accompagnée de l’avocate de StreetPress. Sur conseil de maître Rebérioux et de la direction du média, la journaliste fait demi-tour. Le fonctionnaire de police prévient, devant l’avocate de StreetPress, qu’il a l’intention de « fouiller la vie » de la journaliste pour identifier sa source.

Nouveau rebondissement le 30 novembre : Johan Weisz, directeur de publication de StreetPress, reçoit une « réquisition judiciaire » exigeant la communication de « toutes les informations permettant d’identifier le policier, objet de l’article ». Cette requête émane cette fois de l’IGPN, sur instruction du substitut du procureur de la République du tribunal judiciaire de Paris.

Le média StreetPress nous a fait savoir qu’il ne donnerait pas suite à cette convocation. Le SNJ est pleinement à ses côtés.

 

- Troisième événement récent sur lequel nous souhaitons attirer votre attention, un journaliste du Journal de l’Ile de La Réunion a été convoqué le 7 décembre à la caserne Vérines pour être entendu en « audition libre », dans le cadre d'une enquête pour « recel de violation du secret professionnel ». Cette enquête a été ouverte par la procureure de Saint-Pierre Caroline Calbo après la publication par notre confrère d'articles portant sur un trafic d'anabolisants dans le sud de l’île.

Devant deux officiers de l'inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), Eric Lainé a dû répondre pendant une heure à des questions sur son parcours professionnel, ses qualités et ses défauts (!), mais aussi et surtout sur la façon dont il a obtenu ses informations et comment il les a recoupées.
Notre confrère, qui ne s'est pas dérobé à la convocation, a refusé de répondre aux questions relatives à son travail. Le SNJ est à ses côtés.

 

Ces trois cas récents et rapprochés d’entraves ou de tentatives d’entraves à la protection des sources des journalistes ne manquent pas de nous inquiéter quant aux pratiques et motivations de certains enquêteurs et représentants du ministère public.

 

Sans volonté de notre part de remettre en cause l’indépendance de la justice, consacrée par la constitution, nous nous permettons de vous rappeler que la protection des sources journalistiques, pierre angulaire de la liberté de la presse, ne constitue pas un privilège pour les journalistes, mais bien une caractéristique essentielle du droit à l’information. En tant que Garde des Sceaux, garant de l’Etat de droit, il vous appartient de faire respecter ce principe intangible, pilier de la liberté d’informer.

 

 

Paris, le 20 Décembre 2021

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