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Communiqués de presse

Loi Bloche : la profession éparpillée façon puzzle ?


Une mauvaise petite loi, adoptée à la va-vite par le Sénat ce jeudi 26 mai, organise le morcellement de la profession de journaliste, et sa déontologie. Inspirée par l’Elysée, surnommée pompeusement « loi anti-Bolloré », la proposition de loi portée par le député PS Patrick Bloche était censée "renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias".

Pas du tout à la hauteur des enjeux, le texte voté à l’Assemblée nationale début mars a été encore aggravé par son examen au Sénat.

Jeté à la poubelle, sous la pression d’un intense lobbying patronal, le principe consistant à généraliser à l’ensemble de la profession le « droit d’opposition » qui existe déjà pour les journalistes de l’audiovisuel public. Ces derniers ont le droit de refuser tout acte « contraire à leur intime conviction professionnelle ». Dorénavant, si l’on en reste là -le texte doit faire l’objet d’une commission mixte paritaire à la mi-juin-, tout journaliste n’aura la possibilité de faire valoir son droit d’opposition qu’en refusant tout acte qui serait contraire… à la charte déontologique de son entreprise ! Il faudrait donc, pour rendre effectif ce droit d’opposition, que chaque entreprise soit dotée d’une charte d’éthique avant le 1er juillet 2017. Avec le risque d’une déontologie à géométrie variable selon l’entreprise, le domaine d’activité, et surtout le rapport de force interne et propre à chaque société. Cerise sur le gâteau, tout contrat de travail signé par un journaliste professionnel entraînerait de facto l’adhésion à cette charte d’entreprise, quel que soit son contenu ! Ou comment imposer des principes professionnels sous la pression de l’embauche…

Quelles mesures de « rétorsion » prévue cependant, si d’aventure, une entreprise de presse ne se dotait pas d’une telle charte ? Aucune.

Selon les dispositions de ce texte Bloche, les journalistes seraient donc amenés à changer de déontologie en changeant d'entreprise, et les citoyens auraient des exigences différentes, en matière d’honnêteté de l’information, selon qu'ils liraient, écouteraient ou regarderaient tel ou tel média ! Absurde, la France serait ainsi le seul pays au monde à vivre avec un si étrange mode de fonctionnement. Le Syndicat National des Journalistes (SNJ) appelle la profession à se mobiliser pour défendre et préserver une déontologie unique, en s’appuyant sur la charte d’éthique professionnelle rédigée en 1918, révisée en 2011, intégrée aux accords collectifs des entreprises de l’audiovisuel public.

Autre très mauvaise idée, le rôle confié au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) sur le terrain du traitement de l’information. Les journalistes de l’audiovisuel, et eux seuls, seraient donc soumis à la surveillance déontologique du CSA. Première organisation de la profession, le SNJ dénonce encore une fois cette volonté de mise au pas des journalistes et rappelle que cette instance administrative n'est pas du tout indépendante puisque ses membres sont nommés par les pouvoirs politiques. En prime, un comité de déontologie dit "indépendant" viendrait dans chaque entreprise renforcer le dispositif de mise sous tutelle. Pire que "la voix de la France" de l'ORTF il y a près de 50 ans : une double muselière !

Côté protection des sources, l’engagement de campagne du candidat Hollande a tourné à la pantalonnade, face à l’obsession sécuritaire de son propre camp. Transformée en vœu pieu depuis le vote de la loi renseignement, la protection du secret des sources des journalistes sortirait fragilisée par le vote de ce texte qui abolit la loi du 4 janvier 2010 en élargissant très fortement l'éventail des dérogations possibles...

Enfin, nouveauté "punitive" pour la profession : un plafond de ressources sorti de nulle part, pour les bénéficiaires de l’allocation pour frais d'emploi. Le SNJ rappelle que cette réduction est déjà inchangée en montant constant depuis le plafonnement fiscal fixé à 50 000 francs en... 1971. Décidément, le Sénat gâte les journalistes puisque cette dernière disposition n'était demandée par personne !

En revanche, les parlementaires n'ont rien, rien, et rien conservé des propositions et arguments d'une profession déjà en grande difficulté, qui ne demande qu'une chose : avoir les moyens nécessaires d’assurer à toutes et tous une information de qualité, honnête, complète et pluraliste. Nous en sommes loin, comme nous sommes très loin de l’indépendance des journalistes et des rédactions. Les Drahi, Bolloré, Dassault, Niel, Bouygues, Arnault… peuvent continuer à dormir sur leurs deux oreilles, à percevoir les aides à la presse et à peser de tout leur poids sur les rédactions.

 Rien sur la réforme indispensable de ces aides à la presse afin qu'elles remplissent leurs objectifs en faveur du pluralisme et de la qualité de l'information.
 Rien sur la limitation des concentrations qui usent les rédactions jusqu’à l’os, et aiguisent les appétits des grands groupes industriels, bancaires et commerciaux.
 Rien sur la reconnaissance juridique de l'équipe rédactionnelle qui permettrait de conserver un droit collectif et une âme à chaque rédaction.
 Rien pour améliorer concrètement la protection du secret des sources des journalistes, mise à mal par la loi renseignement et la Directive européenne sur le droit des affaires.

Le SNJ dénonce ce mauvais coup porté à la démocratie dont la Liberté de La presse est un des piliers. Le SNJ rappelle que la vraie loi sur la Liberté de la presse du 29 juillet 1881, qui a permis pendant un siècle et demi un "vivre ensemble" Républicain bien équilibré, fut votée après dix-huit mois de travaux des deux assemblées et non pas quelques semaines de procédure accélérée.

Le SNJ tient à mettre en garde les parlementaires qui siègeront en commission mixte paritaire à la mi-juin, face à la responsabilité qui est la leur, de ne pas réduire en morceaux et affaiblir considérablement une profession indispensable à la vie démocratique du pays.

 

Paris, le 30 Mai 2016

Thèmes : Indépendance

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