Journalistes en souffrance à l'Yonne Républicaine
Depuis plusieurs années, les conditions de travail au sein de la rédaction de l’Yonne républicaine ne cessent de se dégrader : effectifs sous tension (en baisse de 15 % en 15 ans), organisation du travail erratique (qui fait quoi parmi la noria de managers ?), répartition inégale de la charge de travail (souvent au détriment des agences isolées), management bavard et parfois inadapté (combien de réunions stériles ?).
Lancé en 2020 à la demande du Comité de groupe, et avec l’accord de la direction générale, un audit sur les risques psychosociaux mettait en exergue, dès la fin de l’année 2021, la situation critique de la rédaction de l’Yonne républicaine, la pire du groupe, et listait six critères d’alerte, parmi lesquels la charge de travail et le soutien de la hiérarchie.
Le 9 décembre 2021, la médecine du travail d’Avallon prononçait « un retrait temporaire du poste de travail » de l’une des deux journalistes en poste à Avallon, pointant du doigt « des risques psychosociaux et de la souffrance au travail ».
Le 2 février 2022, sa collègue de travail, montrant elle aussi des signes de souffrance au travail, après « des mois de multiples vexations », après avoir signalé ces difficultés en Entretien annuel d’activité et de carrière et saisi le service des Ressources humaines du groupe, était placée en arrêt maladie à son tour. Au lendemain de son départ, elle envoyait un mail au rédacteur en chef et à la médecine du travail, dans lequel elle écrivait : « Il m’est arrivé de fondre en larmes en arrivant au travail le matin ; j’ai du mal à repenser à cette époque sans avoir le cœur qui s’emballe ; je n’avais pas d’issue, et quand on n’a pas d’issue, on n’en envisage qu’une seule ; j’y ai pensé un certain nombre de fois. »
Ces deux journalistes ont quitté l’entreprise. Comme avant elles une journaliste à Avallon, « pour épuisement psychologique et physique, manque d’écoute et de considération de la hiérarchie, ainsi qu’absence de perspectives d’évolution » ; comme cette journaliste aux faits divers, qui, apprenant sa mutation au hasard d’une conversation avec une collègue, fit une grave dépression qui la conduisit à demander un départ en rupture conventionnelle ; comme cette journaliste à Joigny, faisant fonction de chef d’agence, qui, après plusieurs arrêts maladie pour fatigue psychologique, tira la leçon du « manque de moyens humains et matériels » ; comme celle qui l’avait précédée et qui, au retour d’un congé parental, constatant que l’agence de Joigny qu’elle dirigeait avait été réduite pendant son absence de cinq à deux personnes, démissionna, en ayant « la sensation d’avoir été forcée à le faire » ; comme ce journaliste aux faits divers, régulièrement critiqué, dévalorisé, qui finit par démissionner, regrettant une confiance qui petit à petit « a disparu » entre la hiérarchie et lui, et évoquant peu après son départ « des souvenirs teintés d’angoisses, de pressions »…
Depuis 2017, à une trentaine de reprises, en CSE, en CSSCT, en Comité de groupe, les élus ont alerté la direction du groupe sur cette situation.
Le 16 mars 2022, sous le titre « Risques psychosociaux : Stop ! », le CSE de l’Yonne républicaine lui a adressé une lettre ouverte, lui demandant notamment de « prendre toutes les mesures de nature à faire baisser la tension au sein de la rédaction et à stopper l’hémorragie de journalistes. » Dans sa réponse, le 11 mai 2022, la direction générale, tout en contestant l’état des lieux que nous dressions, nous a indiqué avoir « mis en place des groupes de travail avec le rédacteur en chef et les adjoints pour identifier les difficultés et imaginer des solutions correctives », ajoutant qu’« un travail d’adaptation de l’organisation » avait été mené au niveau des rédactions de l’ensemble du groupe.
Quelles « solutions correctives » ? Quel « travail d’adaptation » ?
Le 24 octobre 2022, une alerte était déclenchée par suite d’incidents opposant deux salariées de l’entreprise à deux délégués syndicaux, dont un de la rédaction ; une enquête était diligentée ; le 9 décembre 2022, un CSE extraordinaire concluait à « un halo environnemental caractéristique d’un harcèlement moral » (selon les élus), « à une situation de crise », « à des propos, peut-être des agissements, pas adaptés, pas acceptables » (selon la direction) ; une note de service rappelant les règles de « la vie en entreprise » était diffusée par la direction.
Le 15 avril 2024, quelques minutes après la diffusion du compte rendu du CSE portant sur le droit d’alerte économique déclenché par les élus, un nouvel incident éclatait sur le plateau de la rédaction, impliquant un chef de service ; une procédure pour délit d’entrave est en cours. Le 14 novembre 2024, encore un incident, cette fois-ci sur la liste WhatsApp de la rédaction, impliquant ce même chef de service.
Ce climat délétère qui perdure entoure un projet de réorganisation dont on perçoit difficilement les contours. A ce jour, les prémices de cette réorganisation, présentées le 19 novembre 2024, en CSE, par le directeur éditorial, Stéphane Vergeade, posent davantage de questions qu'elles n'apportent de réponses, suscitent davantage d’anxiété qu’elles ne procurent d’apaisement. A Avallon notamment – mais pas seulement - où, alors qu’un journaliste va quitter l’entreprise en janvier, aucune procédure de recrutement n’apparaît sur la Bourse à l’emploi.
La façon dont les projets web, le développement de l’Intelligence artificielle ont été présentés le 28 novembre 2024 devant une partie de la rédaction – sans que les élus de la rédaction en aient été préalablement informés – ne peut que susciter des réserves.
Les inquiétudes des journalistes doivent être entendues. Les interrogations des élus doivent être prises en compte. Est-il normal de poser la même question en CSE à cinq reprises d’affilée depuis le début de l’année sans avoir le commencement d’une réponse ? Est-il normal que le traitement d’un dossier s’étale sur 10 ans ?
Le SNJ appelle à nouveau solennellement la direction, en particulier la direction éditoriale, à se saisir pleinement et rapidement de la question des conditions de travail et des risques psychosociaux au sein de la rédaction de l’Yonne républicaine afin d’y apporter enfin des réponses concrètes, à la hauteur de la refonte de la politique éditoriale voulue par le groupe.
Il y a urgence. Le rabaissement ne peut pas être un mode de fonctionnement, le dénigrement un mode de gouvernance, le contournement des élus un mode de gestion. La réorganisation de la rédaction appelle des moyens humains en adéquation avec le projet éditorial.