Le CSE de L'Equipe se dit « incapable » de rendre un avis sur le PSE
Ce jeudi 29 avril, le CSE de L'Equipe était convoqué pour deux réunions, notamment une réunion extraordinaire consacrée à la procédure d'information-consultation sur le plan de sauvegarde de l'emploi de la SAS L'Equipe. La direction déposera prochainement une nouvelle d'homologation auprès de la Direccte (qui disposera à nouveau d'un délai de 21 jours à compter de réception de l'ensemble des pièces pour rendre da décision). Les élus étaient appelés à rendre leur avis, Voici la motion qu'ils ont adoptée à l'unanimité :
Les élus du CSE de l’UES L’Equipe sont appelés à rendre un avis suite au retrait, le 5 mars, de la demande d’homologation par la direction du PSE de la SAS L’Equipe.
Les élus n’ont pas été préalablement informés de la décision de retirer cette demande d’homologation et ils ont été tenus à l’écart des discussions avec la Direccte sur les raisons qui ont conduit à cette décision.
Cette façon de procéder a déjà, en soi, pour conséquence d’empêcher l’expression d’un avis éclairé, sans qu’il soit besoin de rappeler que maintenir la demande d’homologation pour l’une des sociétés de l’UES (PSI) pour retirer en catimini la demande concernant l’autre (SAS L’Equipe), est également une atteinte au droit du CSE à être utilement consulté sur un projet concernant l’UES dans son ensemble.
Des seules indications qu’on a bien voulu donner aux élus, il ressort que des informations complémentaires étaient attendues sur les aspects santé, sécurité et conditions de travail du projet de réorganisation, sur lequel ils ont déjà été consultés le 3 février dernier, et que la procédure reprenait là où elle s’était arrêtée, la direction devant simplement consulter à deux reprises le CSE sur le point considéré, de sorte que les délais préfix prévus par l’article L1233-30 du Code du Travail ne recommençaient pas à courir.
Ils ont ensuite reçu, le 7 avril à 23 heures, 99 pages d’un nouveau Livre HSCT (sans compter les nouveaux Livres I et II), et sont censés rendre un avis ce jour.
Les élus n’ont jamais consenti à une simple reprise de la procédure qui les empêche de rendre un avis puisqu’ils sont désormais privés de la possibilité de se faire assister d’un expert alors qu’il s’agit d’analyser la question fondamentale des conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail, et que le cabinet d’experts mandaté lors de la R1 a déjà rendu son rapport sur la base du projet initialement soumis, conformément à l’article L1233-34 du Code du Travail.
Sur la base de la lecture non experte des 99 pages du nouveau Livre HSCT, dans le temps contraint qui leur a été imparti, les élus constatent qu’il n’y a toujours pas de diagnostic des risques potentiels, notamment psychosociaux, tenant compte de la situation actuelle déjà dégradée après les PSE et les réorganisations menées ces dernières années, et que la direction de la SAS L’Equipe se contente toujours, en la matière, du document établi par Qualisocial avant l’ouverture de la procédure, qui pointait des risques sans faire d’analyse de la situation préexistante.
Or le rapport présenté par Apex-Isast lors du CSE du 14 janvier, qui faisait notamment un comparatif entre le travail prescrit et le travail réel, démontrait que la situation d’exposition actuelle aux risques psychosociaux est localement très importante et sous-évaluée par la direction.
Ce rapport faisait état d'une polarisation extrême de la charge de travail. Il montrait aussi que la réorganisation de 2018 a provoqué des risques, notamment psychosociaux, qui n’ont pas été pris en charge par la direction. Plus encore, il montrait aussi que les objectifs de cette réorganisation n’ont pas été atteints.
Le rapport Apex-Isast, cabinet agréé par le ministère du travail, insistait sur les risques inhérents à la nouvelle réorganisation et ce nouveau PSE :
► Des effectifs / ressources qui ne correspondront pas aux besoins réels ;
► Des reports de charge plus importants que prévu dans les calculs de charge future ou polarisés sur des salariés déjà en situation de tension sur ces aspects ;
► Un besoin trop important en termes d’accompagnement et de formation par rapport aux ressources disponibles et compétentes pour le faire ;
► Des services sous-dimensionnés pour répondre aux besoins de mise en œuvre ;
► Une déstabilisation des organisations au sein des services du fait de la mobilisation des salariés détenteurs du savoir-faire sur la montée en compétences des « nouveaux arrivants » ;
► L’apparition de tâches identifiées comme étant à supprimer dans le projet mais cependant essentielles et donc qui devront être effectuées par les salariés au sein de la nouvelle organisation ;
► Une augmentation des facteurs de risques psychosociaux :
- Intensification de la charge de travail,
- Perte de sens,
- Polyvalence et complexification,
- Sentiment de robotisation,
- Perte de la spécialisation et d’expertise,
- Tensions dans les collectifs de travail
- Insécurité socio-économique.
Les experts alertaient de manière on ne peut plus claire sur le « risque d’échec du projet » compte tenu de la façon dont il a été conduit et organisé.
Or, plutôt que de tenir compte de ce constat alarmant de l’expert et du précédent avis du CSE, et de chercher à se conformer à son obligation de sécurité, la direction s’évertue, sur 99 pages de ce Livre HSCT, à affirmer que la réorganisation aurait un impact nul ou quasi nul sur la santé des salariés et leurs conditions de travail. Cette proclamation de principe conduit à des incohérences que les élus ont pu remarquer.
A titre d’exemples, non exhaustifs :
- Chefs d’éditions/adjoints : comment croire que la charge de travail devrait « rester stable » (page 37) avec 25% d’effectifs en moins, avec proportionnellement davantage d’éditeurs à encadrer ? En page 71 du même livre HSCT, il est pourtant écrit : « La taille du service pourrait engendrer une plus grande charge de travail sur les chefs d’édition qui manageraient l’édition unique et qui seraient proportionnellement moins nombreux ».
Mais aucune action (pages 54-56) n’est mise en place pour prévenir ce risque puisque l’augmentation de la charge de travail des chefs d’édition ne figure pas dans les risques identifiés. Ajoutons que le document omet complètement de comptabiliser le temps passé à « carcasser » (maquetter) les pages du journal (le directeur de la rédaction a pourtant fait état de cette charge de travail lors de la réunion du 15 avril).
- Edition photo : le projet de réorganisation entraînera une augmentation de la charge de travail, notamment du fait de la « progression de la charge de travail sur la recherche photos » (p 30) qui pourrait éventuellement être compensée par une baisse de l’indexation « si les tests du logiciel d’indexation assistée sont concluants ». Quelles actions prévoit le plan d’action visant à la prévention des risques identifiés pour juguler la hausse de travail ? « Sensibilisation. Suivi indicateurs » (p. 54). Or, page 18, il est spécifié : « Nous ne disposons pas d’outil de suivi individuel de l’activité ».
- Edition de la rédaction unique : page 5, il est indiqué que « tous les papiers payants (notamment ceux du journal) seraient d’abord édités en ligne avant d’être glissés en page ». Or à aucun moment ne figure d’évaluation de la charge de travail liée au « reverse publishing », la direction semblant ignorer qu’il est impossible de « glisser » un article web tel quel dans un support print. Cette charge de travail occultée viendra donc s’ajouter à celle identifiée, à savoir un nombre moyen de pages en hausse et des vacations FPE par les éditeurs plus que doublées (de 94 à 200 vacations par an). Ces vacations FPE en forte augmentation n’apparaissent pas dans les plannings types présentés. Le plan d’actions visant à la prévention des risques identifiés ne propose rien pour prévenir l’augmentation de la charge de travail puisque ce n’est pas un risque identifié par la direction.
- Reporters : la direction admet que la polyvalence des reporters de la rubrique Omnisports « devrait continuer à se développer » (p. 34) ; qu’il est prévu un « développement de l’offre audio » (p. 33) ; que le nombre de desks numériques par reporter, qui ne sera pas réduit, va mécaniquement augmenter ; que des reporters autres que ceux de la future rubrique Décryptages (p. 34) vont être amenés à produire des contenus de décryptage technico-tactique (sans que cette charge de travail n’ait été évaluée) ; que l’ensemble des reporters seront sollicités pour nourrir la future plateforme Explore, dont aucun volume de production mensuelle n’est donné, même à titre indicatif. Autant de tâches qui vont venir s’ajouter aux missions déjà existantes. Pour autant, cela n’empêche pas la direction d’estimer, dans un nouveau déni aveugle de la situation actuelle comme des conséquences à venir, que « le projet d’évolution de la couverture éditoriale n’impliquerait pas d’augmentation de la charge de travail ». Là aussi, le risque n’étant pas identifié, aucune action de prévention ne sera mise en place.
Ce ne sont que quelques exemples. De telles incohérences pourraient être relevées pour l’ensemble des catégories et services (cellule visuelle, photographes, chefs infos, assistantes, etc).
L’absence de diagnostic sur la charge de travail réelle et les risques liées à cette réorganisation ne permet pas à la direction de prendre la mesure des efforts à faire pour assurer la santé et la sécurité des salariés au travail. Compte tenu de la gravité de la situation, les quatre actions proposées page 49 ne peuvent être considérées comme suffisantes au regard de l’article L4121-1 du Code du travail.
Pour ne citer qu’un seul manque, particulièrement flagrant : l’absence de mesure d’accompagnement spécifique pour les séniors. Lors de la réunion du 15 avril, il a été rappelé qu’une centaine de salariés de la rédaction de la SAS L’Equipe ont 55 ans et plus. Cette problématique affectera notamment France Football où le passage d’une publication hebdomadaire à un mensuel va contraindre la quasi-totalité de cette rédaction à subir un changement de support, voire de sport à traiter. Les élus ont souligné que de nombreux salariés âgés de plus de 55 ans risquaient de devoir changer de poste, d’avoir à travailler davantage la nuit, et devoir s’adapter à de nouveaux outils et à des changements de rythme de travail, mais que rien n’était prévu pour les accompagner dans ces changements. Le directeur de la rédaction a répondu, en substance (p. 20 du PV du 15 avril 2021), que les salariés de plus de 55 ans qui ne souhaitaient ou ne pouvaient s’adapter n’avaient qu’à partir avec le PSE, inventant même la possibilité de pouvoir refuser un avenant, quand bien même le plan ne prévoit pas de modification de contrat pour les journalistes titulaires.
Compte tenu de la façon dont la procédure a été conduite, de l’absence d’accompagnement de leurs experts, d’un document HSCT incohérent, les élus du CSE estiment être, comme ils l’étaient déjà le 3 février 2021, dans l’incapacité de rendre un avis éclairé sur le projet de PSE présenté. Ils réitèrent le mandat donné à Ralf Woodall, Béatrice Avignon et Sabrina Hébert pour agir en justice contre toute décision d’homologation que la Direccte pourrait rendre.