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Précarité, sous-traitance : les Sports glissent vers le hors-jeu

Précarité, sous-traitance : les Sports glissent vers le hors-jeu

Roland-Garros, Tour de France, une partie de la Coupe du monde de rugby, puis les Jeux olympiques et paralympiques de Paris : en vitrine, l’avenir des Sports de France Télévisions s’annonce radieux. En coulisses, c’est moins reluisant : la direction a annulé plusieurs projets majeurs (exit la chaîne olympique, pourtant promise par Delphine Ernotte-Cunci en juillet 2020) et en externalise un grand nombre. Pire : dans plusieurs secteurs (le numérique, notamment) elle piétine les droits des salariés, érigeant la précarité et la sous-traitance en mode de fonctionnement. Une situation insupportable qui a récemment contraint plusieurs journalistes à saisir le conseil de prud’hommes.

 


 

« Le grand projet olympique sera le fil rouge de mon mandat. (...) Un projet de chaîne olympique, numérique, portera la mise en puissance de Paris 2024. »

Juillet 2020 : lors de son audition devant le CSA, où elle brigue alors un second mandat à la présidence de France Télévisions, Delphine Ernotte-Cunci prend des engagements forts. La chaîne olympique est alors présentée comme le principal projet de développement des activités des Sports.

Avril 2023 : après quasiment trois ans d’atermoiements, de vrais-faux recrutements, et de jeux d’influence en coulisses, la direction annonce explicitement l’abandon du projet « chaîne olympique ».

 

SOUS-TRAITANCE GÉNÉRALISÉE

 

Elle serait remplacée, dès le mois de juillet, par un programme quotidien autour de Paris 2024, sur France 3, entre 20 h et 20 h 55. Présentée par Carole Gaessler, cette émission sera externalisée et produite par une filiale (france.tv studio). L’équipe constituée pour l’occasion semble motivée et compétente, mais (à l’exception d’une poignée de détachements) ne bénéficie pas de contrats France Télévisions, et plusieurs reporters travaillent même sous CDD-U... un type de contrat pourtant illicite pour les journalistes !

Le recours à la sous-traitance, via des filiales ou des sociétés privées, n’est hélas pas nouveau pour les

Sports. Cette pratique s’est généralisée ces dernières années, y compris dans les programmes « historiques » : plusieurs rubriques de Stade 2 ou Tout le Sport font régulièrement appel à des journalistes et techniciens qui n’apparaissent sur aucun de nos tableaux de service. C’est également le cas pour une grande partie de l’équipe qui gère la partie « sports » de la plateforme france.tv, ou pour l’animation des réseaux sociaux.

Conséquence : les salariés qui travaillent dans les mêmes locaux, sur les mêmes programmes, avec le même encadrement, sont en réalité rattachés à des entreprises différentes ! La direction risque ici des condamnations pour délit de marchandage ou prêt illicite de main d’œuvre.

Il s’agit d’un préjudice important pour les collègues concernés. Officiellement, ils sont des « prestataires », et ne bénéficient pas du cadre social de France Télévisions, n’acquièrent pas les mêmes droits que les CDD ou CDI de France Télévisions, etc.

Ils passent pourtant leurs journées à travailler à nos côtés, au sein du Siège de France Télévisions !

Avec cette sous-traitance injustifiable, la direction aggrave toujours plus la précarité de ses équipes et divise les collectifs de travail. Le SNJ exige qu’elle mette fin à ces pratiques indignes du service public.

 

FRANCEINFO: SPORT, TOUJOURS CHAMPION DE LA PRÉCARITÉ

 

D’autres dossiers de salariés des Sports sont déjà devant la justice : début 2023, une demi-douzaine de journalistes travaillant pour Franceinfo: Sport ont saisi le conseil des prud’hommes de Paris. Le SNJ est à leurs côtés, intervenant volontaire dans la procédure.

Nous avons tout tenté pour éviter cette issue judiciaire, mais la direction n’a rien voulu savoir.

À l’automne 2021, le SNJ dénonce la précarité extrême qui règne dans le service numérique de la rédaction des Sports (qui alimente notamment l’offre sportive de franceinfo.fr). Hors encadrement, plus de 75 % des journalistes y sont employés en CDD, piges, contrats d’alternance ou stages !

Les élus du Comité Social et Économique (CSE) du Siège s’emparent alors du dossier et la direction admet, du bout des lèvres, que ce volume d’emplois précaires représente l’équivalent de 10 CDI à temps plein...

En mars 2022, le SNJ dépose un préavis de grève pour exiger la titularisation des journalistes, grève suivie à plus de 80 %. La direction s’engage alors sur 3 embauches en CDI, promesse qu’elle tiendra un an plus tard. Hélas, rien n’est proposé aux autres journalistes... si ce n’est de continuer (pour 5 ou 10 ans de plus ?) une vie de salarié précaire !

Aujourd’hui, plusieurs d’entre eux ont choisi de faire valoir leurs droits devant les juridictions compétentes. Le SNJ salue leur courage et soutient totalement leur démarche. Nous espérons que les premières décisions, qui devraient être connues au début de l’été, leur seront favorables.

Championne de la précarité dans son service numérique, la direction des Sports abuse depuis longtemps du recours au CDD et à l’intermittence. Avec cynisme, elle s’est régulièrement opposée à des demandes légitimes de CDI, émanant de salariés précaires travaillant parfois depuis 25 ans (!) pour Stade 2 et Tout le Sport. Là encore, il est temps de mettre fin à ces pratiques frauduleuses.

 

LES SUITES D’UN FIASCO DISCIPLINAIRE

 

Et le conseil des prud’hommes n’en a pas fini avec les dossiers « Sports de France TV » : dans les prochaines semaines, il devra également se pencher sur une affaire qui avait déchiré ses équipes en 2020, et provoqué plusieurs licenciements.

Retour en arrière, à l’époque du premier confinement. Déclenché par plusieurs témoignages de femmes journalistes, un « MeToo » du journalisme de sport met plusieurs rédactions spécialisées face à un lourd passif concernant le traitement des consœurs.

Les Sports de France Télévisions ne sont pas épargnés : des années de gestion archaïque et sexiste avaient créé de profonds déséquilibres au sein de la rédaction, et permis à des comportements inacceptables de s’installer. Une situation que le SNJ avait signalée dès janvier 2013 : https://snj-francetv.fr/wp-content/ uploads/tract-parite%CC%81-2-janvier-2013-OK.pdf 

Après des années de complaisance, de déni et d’inaction, un état des lieux s’avérait nécessaire.

Et après ? Effacer des décennies de culture sexiste en quelques jours était impossible : il fallait un plan ambitieux, basé sur des réformes structurelles et appuyé par de la formation continue et des recrutements.

Le 31 juillet 2020, le SNJ écrit : « Les différentes enquêtes des derniers mois confirment notre analyse et démontrent la nécessité de changements profonds. Des sanctions très ciblées, et pour certaines disproportionnées, ne peuvent s’y substituer ».

Hélas, la direction préfère agir dans la précipitation, avec des procédures disciplinaires bâclées. Les syndicats s’opposent (notamment en commission de discipline) à trois licenciements, qui font payer à quelques-uns des années d’errements collectifs.

L’affaire est portée devant la justice, et la première décision, rendue début 2022, est favorable à l’un des journalistes. Dans son jugement, le conseil des prud’hommes de Paris rejoint le point de vue des syndicats en estimant que certains comportements « auraient probablement nécessité une explication, voire une sanction, mais pas un licenciement au nom du principe de la proportionnalité ».

Les deux autres journalistes licenciés attendent encore les décisions les concernant, mais ils pourraient eux aussi obtenir gain de cause dans les prochains mois.

Ce fiasco disciplinaire a été destructeur pour trois collègues. Il a également abîmé et fragilisé l’ensemble du collectif de travail des Sports. La direction doit en tenir compte et se montrer particulièrement attentive pour ne pas renforcer le sentiment de défiance.

 

2024... ET AU-DELÀ !

 

Aujourd’hui, les salariés des Sports travaillent sans relâche avec un horizon commun : les prochains Jeux olympiques et paralympiques, soit le plus gros événement de l’histoire de ce service. À cet objectif hors normes s’ajoute un autre impératif : devenir un collectif plus inclusif, et mieux refléter la diversité de la société.

Pour y parvenir, les équipes des Sports ont besoin d’une politique RH renforcée, avec des engagements fermes et pérennes.

Mais au-delà de Paris 2024, France Télévisions doit rester le plus grand terrain de sport. Cela passe par une politique de retransmissions sportives ambitieuse et variée, mais aussi par le maintien des émissions et des offres numériques d’information sportive, qui doivent se construire sur nos reportages. En matière de documentaires sportifs, les projets « internes » doivent être réalisables et réalisés.

Le savoir-faire des équipes des Sports ne peut pas être externalisé, sous-traité, ou « bricolé » avec des successions de contrats précaires.

Les Jeux de 2024 doivent être un tremplin, une opportunité pour moderniser et consolider la direction des Sports. Saura-t-elle s’appuyer sur nos ressources internes (réseaux régionaux et ultra-marins notamment), et rendre exceptionnel le recours à des sociétés extérieures ?

Assurer nos missions de service public, oui, et en interne, avec un cadre social digne de France Télévisions.

La direction générale sera-t-elle à la hauteur de ce défi ?

Paris
Mardi 9 mai 2023
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