Privées de travail sans être licenciées, deux ex-journalistes de La Tribune gagnent en appel
La Cour d’appel de Paris vient de reconnaître les droits à indemnités de licenciement et dommages et intérêtspour deux journalistes pigistes régulières de l’ex-quotidien La Tribune, « oubliées » lors du plan de sauvegarde de l’emploi de 2011. Malgré un courrier du SNJ venant après ceux des intéressées, le mandataire liquidateur avait refusé de réintégrer dans le PSE trois consœurs concernées par la disparition du titre papier. Et en juin 2014, le Conseil des prud’hommes de Paris avait débouté les trois journalistes demanderesses, soutenues par le SNJ, les condamnant même aux dépens !
L’arrêt du 17 mars 2016 rétablit le droit, pour l’essentiel, pour deux des trois journalistes, la troisième s’étant désistée. Il fixe « au passif de la liquidation judiciaire » les sommes dues au titre du préavis et de l’indemnité conventionnelle de licenciement ainsi que des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Sans oublier des dommages et intérêts pour non remise de l’attestation de travail pour Pôle emploi pour un montant de 100 euros (contre 1000 euros demandés) bien faible au regard de la potentielle indemnisation chômage rendue impossible sans cette attestation.
La décision repousse la demande de rappel de salaire pour la période de baisse de piges pourtant analysable en modification du contrat de travail laquelle peut être proposée mais non imposée au salarié. Le mandataire liquidateur, Me Stephane Gorrias, est tenu de remettre tous les documents sociaux de fin de contrat aux demanderesses dans le délai d’un mois... Et, fait rare, il est condamné à verser à l’une 1 000 euros à l’autre 700 euros au titre de l’article 700 pour les frais engendrés par la procédure.
Cette décision positive – mais intervenant près de cinq ans après les faits !!! – doit inciter tous les délégués SNJ à la vigilance lors de toute restructuration impliquant une réduction d’effectifs. Les journalistes pigistes doivent être comptabilisés dans les effectifs concernés (ce qui peut permettre de passer la barre des dix salariés concernés rendant obligatoire un PSE) et accéder, comme les salariés permanents, au reclassement et aux mesures sociales d’accompagnement.
L’avocate des consœurs et du SNJ, Me Audrey Legay, se réjouit de cet arrêt « bien motivé » qui condamne l’absence de notification du licenciement et des droits liés au licenciement pour motif économique. Mais elle s’avoue « déçue pour le SNJ dont l’action en intervention volontaire a été jugée irrecevable car liée à un litige prétendu individuel ». Pourtant le SNJ demandait réparation pour « la violation des règles légales et conventionnelles spécifiques aux journalistes professionnels », ce qui justifiait largement son intérêt à agir pour la défense des intérêts matériels et moraux de la profession.
Me Audrey Legay avait souligné à la barre que les intéressées étaient journalistes professionnelles, titulaires de la carte de presse, en contrat de travail à durée indéterminée, exerçant leurs fonctions de manière « régulière et permanente » avec une rémunération salariale sous forme de piges. Pour sa part Me Gorrias avai- tenté – sans convaincre- de nier l’existence de contrats de travail et la régularité de la collaboration des deux consoeurs, n’était pas applicable. L’assurance garantie des salaires (AGS), financée par des cotisations patronales, qui intervient lors des liquidations judiciaires, s’était associée à sa démarche affirmant vainement que l’article L 7112-1 du Code du travail sur la présomption de contrat de travail n’était pas applicable.
La Cour d’appel a reconnu l’existence d’un contrat à durée indéterminée depuis le début de la collaboration et son caractère régulier « peu important que la salariée dispose d’autres sources de revenus ». Mais, pour cette même Cour, l’existence d’autres collaborations signifie que les salariées ne s’étaient pas tenues à la disposition de la société pour fournir une prestation plus importante et ne peuvent donc réclamer un rappel de salaire.
« Si l’employeur d’un journaliste pigiste comme collaborateur régulier est tenu de lui fournir régulièrement du travail, il n’est pas tenu de lui fournir un volume de travail constant », indique la décision. Cette formulation n’est ni nouvelle ni systématique mais elle fragilise les recours en justice en rendant aléatoire la condamnation de l’employeur pour modification unilatérale du contrat de travail.
La jurisprudence sur la rupture du contrat de travail a, par contre, été encore une fois confirmée pour cette affaire. « En fournissant régulièrement du travail à un pigiste, l’entreprise de presse fait de ce dernier, même rémunéré à la pige, un collaborateur régulier auquel l’entreprise est tenue de fournir du travail ; l’interruption de la collaboration, à l’initiative de la société, s’analyse en un licenciement qui ouvre droit, pour la salariée, à la perception des indemnité compensatrices de préavis et indemnité conventionnelle de licenciement », peut on lire dans l’arrêt.
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