Un « grand malaise » qui nous met mal à l’aise
Ah, qu’elle est belle la devise imprimée chaque jour à la une d’Ouest-France : « Justice et liberté » ! Mais de quelle justice et de quelle liberté est-il question ?, a-t-on envie de se demander après avoir lu l’éditorial du 6 mars intitulé : « Affaire des écoutes, le grand malaise ». Est-ce une justice qui sanctionnerait les faibles et glisserait sur les turpitudes des puissants ? Est-ce la liberté d’user et d’abuser de son statut de dirigeant d’un journal pour imposer ses idées, au mépris des principes affichés par le même journal : informer avec rigueur au service des lecteurs, respecter le pluralisme, défendre la démocratie et ses institutions…
Reprenant sans aucun recul les arguments de Nicolas Sarkozy (présumé innocent puisqu’il a fait appel), qui estime avoir été condamné « pour ce qu’il n’a pas fait », l’éditorialiste affirme que la condamnation de l’ancien président de la République pour corruption, notamment, « soulève des problèmes démocratiques », qu’elle pose la question « de la proportionnalité de la peine », que la décision relevant « de l’intime conviction » nuit à la confiance des Français dans la justice…
Faut-il rappeler que juger sur « l’intime conviction » est parfaitement légal ? Il suffit de lire les 254 pages du jugement, accessible à tous, et particulièrement détaillé, pour constater que les trois magistrats indépendants du tribunal correctionnel n’ont pas pris leur décision à la légère. C’est avec quelques solides arguments qu’ils ont souligné que les infractions commises sont d’une « particulière gravité », qu’elles ne peuvent « que nuire à la légitime confiance que chaque citoyen est en droit d’accorder à la justice » et qu’elles « portent lourdement atteinte à l’État de droit et à la sécurité juridique ».
Mais des motivations des juges, il n’est pas question dans l’édito d’Ouest-France, qui note, quand même, que cette condamnation est « du jamais vu pour un ancien président de la République ». Ce caractère inédit et historique a été souligné par tous les journaux qui en ont fait leurs gros titres de une. Ouest-France s’est contenté de 80 lignes en page 6, dans le journal du 2 mars. Pas un mot à la une, consacrée, ce jour-là, à un sujet magazine sur le stockage des données numériques…
L’éditorialiste d’Ouest-France estime que les droits de la défense n’ont pas été respectés. Toujours est-il que l’affaire sera à nouveau jugée par une cour d’appel et, que si les trois prévenus considèrent que la procédure n’a pas été régulière, en première instance ou en appel, ils ne manqueront pas de saisir la Cour de cassation.
Plutôt que cette prise de position éditoriale qui jette le soupçon sur les magistrats, cherche à manipuler l’opinion et porte atteinte à la confiance des Français dans la justice, Ouest-France aurait pu attendre de savoir ce que décideront ces juridictions. Si la cour d’appel confirme le jugement, l’éditorialiste d’Ouest-France y verra-t-elle une nouvelle cause de « grand malaise », voire d’un « très grand malaise » ?
Rappelons que parmi les règles de bases qui s’imposent aux journalistes d’Ouest-France, il en est une qui dit : « Le journaliste ne doit pas donner le sentiment de s’être intéressé à l’affaire de manière épidermique ou ponctuelle. Il doit éviter tout avant jugement péremptoire » (Charte des faits divers et justice).
Ce traitement partisan ne peut que nous inquiéter alors que nous entrons dans une période où vont s’enchaîner les élections. Nous espérons vivement que nos dirigeants vont se souvenir qu’Ouest-France se veut un journal pluraliste, respecteux des opinions de tous ses lecteurs, et qu’ils ne vont pas, à nouveau, céder à ce triste penchant qui s’était traduit, en 2017, par un soutien explicite au candidat de la République en marche…